Vendredi 6 août matin
Par Sara Fergé
L'expression biblique de «bouc émissaire» évoque un animal chargé de tous les péchés et sacrifié pour permettre leur expiation. Selon les anthropologues, le fait de désigner des boucs émissaires est un mécanisme de défense qui permet d'évacuer l'angoisse d'une menace sur une communauté en identifiant un élément responsable de cette menace, puis en l'expulsant.
Mon intervention portera sur la reproduction de ce mécanisme au sein du mouvement animaliste.
Je rappellerai d'abord que les animaux ont été et demeurent les principales victimes de ce phénomène: au-delà des sacrifices rituels, il suffit de prendre connaissance de leur traitement lors des épidémies: de la peste au Moyen Âge aux grippes aviaires ou porcines récentes, ils ont toujours été désignés comme responsables en tant que vecteurs de maladie et sacrifiés lors des épidémies.
Mais mon propos portera principalement sur les manifestations de ce phénomène dans le mouvement animaliste. Le mouvement animaliste est un ensemble large, aux contours imprécis, composé d'individus qui ont pour point commun de prendre au sérieux le sort des animaux. Il s'agit d'un microcosme hétérogène qui n'a pas d'orientation commune définie et qui fait se côtoyer des idées et des démarches très différentes. J'inclus dans ce mouvement toute personne concernée par le sort des animaux, et désireuse de voir une amélioration de leur condition. La position des individus composant ce mouvement est ambivalente. D'une part, ils sont marginalisés lorsqu'ils expriment publiquement leur solidarité envers les animaux. En effet, cette attitude représente un acte subversif qui remet en question la légitimité de la domination des humains sur les autres animaux. Quand ils font vaciller les préjugés spécistes, ils font naitre une angoisse qui a souvent pour conséquence une mise à l'écart. Celle-ci peut revêtir différentes formes: la moquerie, le déni, mais aussi la criminalisation (le procès des militants autrichiens, les enquêtes sociales que subissent certaines familles végétariennes, le dernier rapport de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires qui désigne le végétalisme comme un des indices permettant de conclure à l'appartenance d'un individu à une secte sont des exemples parmi d'autres). D'autre part, bien que ceux qui prennent en compte les intérêts des animaux soient victimes du phénomène du bouc émissaire et qu'ils aient conscience que ceux qu'ils défendent, les animaux, en sont également victimes, certains d'entre eux ont tendance à le reproduire. A leur tour, ils désignent des boucs émissaires aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du mouvement. La condition animale étant largement négligée par la société humaine, les luttes pour améliorer leur sort mènent bien souvent à la frustration, au découragement mais aussi à la colère. Il arrive que ces sentiments soient extériorisés sous la forme d'une mise à l'index d'un individu ou d'un groupe d'individus jugés responsables de la lenteur du processus d'amélioration du sort des animaux, qu'on accuse des nuisances qui ralentissent ou menacent les résultats attendus. Cette mise à l'index se veut collective, c'est-à-dire qu'elle appelle un consensus pour expulser l'élément qu'on a identifié comme la cause de nos problèmes.
À mon sens, ce phénomène est contre-productif et il est important d'en comprendre les mécanismes pour éviter qu'il ne parasite la dynamique du mouvement. Je propose donc d'examiner les manifestations du phénomène du bouc émissaire à travers des exemples concrets afin d'identifier ses constantes et de dégager des pistes qui permettraient de l'endiguer.