Estivales de la Question animale

24 juillet 2012 - Patrick Llored

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En quoi la philosophie végétarienne antique peut-elle servir de "boîte à outils " intellectuelle pour les luttes de libération animale ?

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Introduction par l'auteur

Nous voudrions faire la démonstration que les philosophies végétariennes antiques sont une mine intellectuelle pour les luttes de libération animale. Une mine encore inexploitée ! Partons par conséquent d'abord d'une triste évidence : ces pensées antiques ne sont pas vraiment connues de nos jours alors qu'elles ont joué un rôle critique majeur dans les débats antiques à propos de la question de savoir si les animaux devaient faire partie de la communauté des vivants, au delà de la distinction entre humains et non humains. Or il devient urgent de savoir que la plupart des enjeux des débats actuels concernant la question animale ont déja été posés dans l'antiquité par des philosophes animalistes végétariens et donc défenseurs des animaux. Ce sont leurs argumentaires que nous expliciterons afin de montrer trois choses : d'abord que la lutte de libération animale n'a rien de neuf et que par conséquent nous devons faire cette archéologie de la question animale quand elle a pris la forme d'une volonté de libérer les animaux du pouvoir et de la violence humains; ensuite que ces philosophes ont beaucoup de choses à nous apprendre sur la manière dont nous devons convaincre les gens que l'idée même de libération animale n' a rien d'une utopie et fut donc envisagée par de nombreux penseurs; enfin que beaucoup de leurs concepts ont une valeur fondamentale qui pourrait guider beaucoup de nos actions actuelles en faveur de la libération animale.

Autrement dit, le moment n'est-il pas venu de prendre de la distance par rapport à nous-mêmes afin de mieux comprendre ce qui a manqué à ces philosophies pour changer la donne mais aussi ce qui pourrait transformer notre monde si nous prenions en compte leurs idées libératrices ?

Patrick Llored, philosophe.

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Patrick Llored

Pas d'enregistrement audio pour cause de problème avec l'enregistreur numérique.

50 personnes présentes

Retranscrion écrite (merci à Sarah)

PL va bientôt soutenir sa thèse dans le domaine de l'éthique animale, à Lyon.

Tradition de pensée pas très connue : la « philosophie végétarienne antique ». (Par végétarisme il inclut le végétalisme et le véganisme).

Pourquoi ne pas montrer qu'une tradition comparable aux mouvements de libération animale récents a existé ?

Pythagore n'est pas le meilleur exemple d'auteur connu illustrant cette tradition, même si c'est celui que tout le monde connaît. D'autres auteurs ont des choses à nous apprendre.

Derrière Pythagore, il y a une école de pensée mais les élèves n'étaient pas végétariens. Pythagore leur demandait de ne pas manger deux types de viande : le mouton et le bœuf.

PL a essayé de trouver de vrais philosophes défendant le végétarisme. Il y en a peu car la plupart des philosophes antiques connus sont des ennemis du végétarisme.


Qui sont les auteurs qui défendent le végétarisme radical ?


Empédocle est l'inventeur du végétarisme radical et était un des rares penseurs de la démocratie à l'époque.

Theophraste, Plutarque et Porphyre sont aussi des philosophes de cette philosophie végétarienne.


I/ Cette philosophie végétarienne a été une des premières théories de la libération animale, même si elle n'a pas connu la postérité.

II/ Les principales thèses de cette philosophie antique.

III/ Quelle est l'actualité de cette réflexion ?


Ces auteurs sont réunis par le refus du sacrifice animal. Ils ont vite compris qu'il y avait une relation entre la philosophie dominante (épicurisme, scepticisme...) et le sacrifice du vivant animal.

Le sacrifice n'est-il pas l'autre nom de la philosophie antique occidentale ? Le discours philosophique n'est-il pas avant tout un discours sacrificiel ?

Rares sont les penseurs de cette tradition à avoir fondé leur pensée sur une éthique animale.

Empédocle a tout de suite compris que la société grecque de son époque a un problème extrêmement grave avec l'animal car ce dernier n'y était pas respecté. Il a essayé d'en comprendre les raisons. Cet auteur est le fondateur du savoir moral sur l'animal. Il n'a jamais été vraiment lu et est tombé dans l'oubli. La tradition philologique le range dans la catégorie fourre-tout pré-socratique (alors que c'est un contemporain de Socrate).


Les trois thèses empédocléennes :


Il est le premier à avoir dit qu'il y a une parenté du vivant radical, une unité profonde entre tous les animaux et cette unité fait de nous des parents les uns à travers les autres.

Cette éthique animale n'a pas été comprise car cette philosophie apparaît comme reliée à la croyance de la réincarnation du vivant, alors que des chercheurs (Jean Bollack, auteur des Purifications fait la démonstration qu'Empédocle défendait le végétarisme radical, non par rapport à la métaphysique mais pour le respect des animaux et Jean-François Balaudet consacre un chapitre développé à Empédocle dans Le Savoir-vivre philosophique).

La pensée morale d'Empédocle apparaît dans un texte cosmologique où il explique les origines du monde : Les Origines mais aussi dans Les Catharmes, qu'on traduit par « les purifications ». Pas de trace de métempsychose permettant de justifier son végétarisme radical.

Cette théorie de la parenté du vivant repose sur une thèse : il existe un lien profond qui relie l'homme et les animaux (pour l'époque, c'était un bouleversement) mais aussi tous les vivants entre eux sans aucune distinction hiérarchique. Ils sont tous sur le même plan d'égalité. Le principe philosophique : l'aion (= la vie en grec). Tout vivant animal participe à l'ordre même des éléments. Le principe vital qui habite l'homme se transmet à tous les êtres. Vivre, pour les humains comme pour les animaux, c'est progressivement acquérir la vie. Tout doit être fait pour laisser la vie se développer sans y attenter. Pour E. il s'agit d'une vie transitoire qui est née sous l'impulsion d'une force, l'amour, qui est à l'origine du vivant. Cette force est en lutte avec une autre force contraire qu'E. appelle la haine. Il y a une lutte violente entre ces deux principes antagonistes. Si nous sommes tous devenus des vivants, c'est parce que l'Amour a triomphé. Cet amour provoque le mélange qui produit le vivant, qui résiste à la haine et à la dissociation qui est synonyme de mort. Tout vivant est porteur de sacralité car il a su dépasser le conflit entre l'amour et la haine. Il est sacré, on ne doit pas y toucher.


Quand l'animal est capable de ne pas reproduire la violence, il devient intouchable. Tous les vivants sont reliés entre eux, unis par l'amour sur un fond de haine permanent. Tout animal est né de la philia. Chez tout animal, il y a le désir d'aimer les autres animaux, sans exception.

E. avait un respect identique pour les végétaux.

Même si les vivants subissent la pression de la dissociation, il leur revient de ne pas y céder, ce qui fait de la mort un fait assez banal car les vivants meurent quand la haine prend le dessus sur l'amour. Mais la mort devient abominable quand elle est provoquée par un vivant sur un autre vivant. L'homme ne doit pas intervenir car le vivant est sacré et la Nature a tout prévu. Tout doit être fait pour que la mort volontaire soit éliminée. Si la mort d'un vivant s'achève par la consommation de la chair de ce dernier, E. parle de cannibalisme, même si un humain mange un non-humain : l'allélophagie.

Il n'y a aucune idéalisation de la Nature puisqu'elle est soumise en permanence à une immense violence et les animaux doivent se soumettre à une guerre de conquête pour survivre. Le vivant ne pourra jamais échapper à la force de haine qui conduira le vivant à tuer un autre vivant.

Il y a une différence entre une violence subie par la pression des forces naturelles et la violence voulue qui est à proscrire de toute relation avec le vivant car elle est contre-nature et il faut donc lutter contre.

Soit nous acceptons la violence du devenir et nous subissons la suprématie naturelle de cette violence.

Soit nous faisons tout pour orienter le devenir vers l'unité et vers le triomphe de ce principe d'amour.


L'éthique animale d'E. est fondamentalement active car elle doit conduire la vie vers le triomphe de l'amour sur la haine.


Dans un poème, Les Catharmes, son éthique animale devient subversive, à la fois morale et politique. Dans cet texte, E. imagine une société qui lui sert d'utopie où il dénonce toutes les formes de souveraineté sur l'animal. Cette souveraineté est la soumission de l'animalité sur la puissance de l'homme.

L'individu se pense souverain, puis le concept de souveraineté a été élargi au politique. Selon E., les hommes se croient souverains et dénient cette souveraineté aux animaux. Toute souveraineté produit de la violence. Qui dit souveraineté dit maîtrise de soi-même et donc maîtrise de l'Autre.

Cette thèse sera reprise par Jacques Derrida.


Le poème, l'utopie sont des relais pour défendre ses idées, pour toucher les gens.

Dans la société qu'il invente, il proscrit le sacrifice animal qui est le fondement des philosophies antiques. C'est une institution théologique et politique qu'il faut déconstruire.

« Ils n'avaient pas de dieu Arès ni de Tumulte, ni de Zeus, ni de Chronos, ni de Poséidon, ils avaient Cypris (=déesse de l'amour). Les hommes cherchaient ses faveurs par des sacrifices de myrrhe (…) l'autel n'était pas trempé par le sang des taureaux... »

L'amour règne sur cette société où la paix est le ciment entre tous les vivants.

Un texte comme L'iliade peut être lu comme un texte célébrant la violence des dieux et le sacrifice animal.

E. veut destituer les dieux traditionnels pour laisser la place à la seule déesse digne et respectable : Cypris.


E. ne se contente pas de ce contre-modèle de société : il va fonder son éthique sur une loi naturelle, au fondement de toute cité digne de ce nom, dans le but d'installer dans l'esprit des hommes cette pensée amour : « la loi (=loi avant le droit) qui gouverne toute chose s'étend à travers les terres et la lumière. »

droit positif = loi votée pour les intérêts humains ≠ loi naturelle.

Si on attend le droit positif, il ne se passera rien.


Aristote a dit que l'homme était un animal politique, rejetant l'animal hors de la communauté. A. reconnaît chez E. que ce qui fonde la pensée pacifique de l'humanité est cette affinité universelle entre tous les vivants. Mais A. pense qu'on ne peut pas se permettre de ne pas tuer les vivants car tout dépend de cela. La justice doit être universelle et s'appliquer à tous les vivants mais il laisse échapper la radicalité du propos empidocléen, cette revendication inédite à son époque : il faut inscrire l'animal dans cette loi naturelle qui l'inclura dans la loi positive. Pour la première fois dans l'histoire, il y a une pensée du droit et de la loi qui inclut l'animal.

Si le droit peut se définir par des différences sociales, la revendication d'E. est une déconstruction radicale. Pour E., même les animaux les plus violents doivent être inscrits dans les lois naturelles, il faut les éduquer pour qu'ils puissent faire partie de la communauté. Malheureusement, la domestication s'est fait contrairement aux intérêts des animaux.


[HS : Revue de juristes animalistes : Revue semestrielle de droit animalier ; partie sur les avancées juridiques, partie dossier]


Il s'agit donc de refonder la cité sur la loi naturelle et faire disparaître les dieux traditionnels qui impliquent des sacrifices. Il n'y aura plus dès lors qu'une seule cité. On pourrait par conséquent établir une correspondance entre Empédocle et Derrida dans la mesure où la violence intrinsèque repose sur la domination entre l'animal et le monopole de la violence maintenue. Modèle de l'exclusion (sacrifice politique) et l'inclusion (sacrifice carnivore) mais il y a un lien : c'est parce qu'on les mange qu'on les exclut de notre communauté et vice versa.


L'apport majeur d'E. Est de bâtir une relation de fraternité avec les animaux, préalable d'une reconstruction politique et sociale.


Interventions suite à la conférence


Hélène : quelle est la source de cette cruauté ? Il y a des auteurs qui opposent ces pensées des antiques à des écrits de civilisations sibériennes, indiennes (pas l'Inde mythique mais l'Inde tantrique de la main gauche, qui a été éradiquée et qui reliait tous les vivants).


Christian : La société antique reposait sur l'esclavagisme et cela est lié à une consommation effrénée. Aujourd'hui, on est plus descendants des esclaves que des philosophes. L'esclave est considéré comme du bétail par les philosophes.


Joël : Quelle était la connaissance animale d'Empédocle ? Est-ce que d'autres penseurs sont parvenus à la même pensée que lui ?


PL : Empédocle a écrit un texte de physiologie animale. Il refuse l'expérimentation et dit qu'il ne faut pas faire de séparation entre la biologie qu'on applique aux animaux et la philosophie qu'on réserve aux humains.


Joël : Quelle est aujourd'hui l'évolution de sa pensée, alors que les connaissances scientifiques ont évolué ?


Isabelle : L'exposé était très intéressant mais il y a des notions qui ne sont pas transposables aujourd'hui, par exemple, la loi naturelle ou le caractère sacré de la vie qui remettrait en question l'euthanasie, l'avortement...


PL : Quand la force d'amour a triomphé, la vie devient sacrée.


Yves : Y a-t-il des écrits d'E. qui attaquent d'autres formes de domination de sa société, comme le patriarcat ? D'autre part, est-ce que E. distingue les être sensibles des autres ? En quoi les réflexions d'E. peut nous apporter des choses dans les luttes actuelles ? Parce que je vois plutôt des choses desquelles on doit se désolidariser comme l'idée de Nature ou l'idée de sacralisation de la vie.


Anou : Le concept de loi naturelle permet de l'opposer au droit positif, c'est simplement un outil.


Tipi : Dans certaines circonstances, la loi naturelle et positive doivent être des synonymes.


David : Si l'on prend « loi naturelle » chez Empédocle et qu'on le plaque sur la manière dont elle serait utilisée chez des philosophes d'origine chrétienne, c'est un concept très nocif. On oppose la loi naturelle, l'éthique et la politique, sans prendre en compte que le mot « nature » voulait aussi dire « physique » et qu'on est mus par des lois physiques. Peut-être qu'E. voulait parler d'êtres sentients, mais d'une façon différente.

Si ce que tu appelles « amour » signifie « sentience », je suis d'accord, mais on ne peut pas le savoir. Quand on dit que l'amour est une particularité du vivant, ça peut poser le problème de l'avortement, car ça s'applique à un embryon de trois jours.


PL : Ce n'est pas l'amour anthropomorphique. C'est une série de forces biologiques qui affrontent des forces contraires.


David : C'est important de creuser le fait que toute la philosophie occidentale est fondée sur le sacrifice animal. L'idée de communauté politique est aussi très importante au sein du mouvement animaliste. C'est à la fois émouvant et désespérant de penser qu'il y a 2400 ans, quelqu'un était militant comme nous.


Isabelle : Y a-t-il eu une interruption de 2000 ans ou cette pensée s'est-elle développée sans être majoritaire ?


Jérôme : On peut penser que le christianisme a poursuivi la pensée d'E. en interdisant les sacrifices d'animaux.


Dominique : Les Bouddhistes vivent dans des hauts plateaux d'altitude, ils n'ont pas beaucoup de végétaux à disposition. Selon un film d'A. Dejardin, dans les rituels, les sacrifices sont proscrits, il sont remplacés par une effigie en pâte, est percée et lardée de banderilles, et cette effigie est consommée ensuite.

Les Tibétains disent que le sacrifice qui vaut est le sacrifice intérieur, puisque l'homme a cette liberté de choisir ce qu'il mange, contrairement à la plupart des animaux.


Joël : Pour en revenir sur la souveraineté : puisque E. était à l'origine de véganisme, comment intégrait-il la connaissance de soi (mouvement philosophique développé à l'époque) sur la connaissance animale ?


PL : Le travail sur soi passe par un décentrement de soi.


Pierre : Quelque chose n'est pas clair, E. inclut les plantes dans sa théorie, mais concrètement, il ne parle que des animaux dans ses questions pratiques.


PL : Il prescrit de manger les plantes à maturité. Lisez J. Bollack, il décrit en trois tomes la question du végétal selon E.


Hélène : Cette violence vient d'une frustration. Si les humains avaient épanoui cette énergie sexuelle, ils n'auraient pas besoin de cette frustration.


PL : Est-ce qu'on n'est pas en train de le faire, créer du lien à l'aide de cette énergie sexuelle ?


Baptiste : Il y a quelque chose de dangereux dans ce que dit E. même si à l'époque c'était bien. Tu dis qu'il faut s'adresser aux émotions, au sentiment de communauté car selon toi ça fait 2300 ans qu'on est dans le droit positif. Je pense que c'est faux, par exemple, dans les campagnes électorales, on s'adresse plus au sentiments qu'à la raison. Tout est politique. Il est de bon ton de dire qu'on n'a pas besoin de raisonner, qu'on a de l'instinct qui peut nous guider, mais cela peut nous entraîner vers des choses irrationnelles.


PL : Les théories du care, liées au féminisme, disent qu'il faut considérer l'animal comme un être dont il faut prendre soin. Les articles démontrent que c'est la suprématie de la raison humaine qui nous a fait maltraiter les animaux. La politique est totalement liée au raisonnement. Le rationalisme a justifié notre rapport aux animaux, parce que le raison, le droit, la politique sont liés.

Par exemple, les nazis ont exterminé au nom du droit.

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